« Une augmentation générale de grands impôts comme la TVA ou l’impôt sur le revenu serait une erreur monumentale »

Tribune
Une tribune d'Alain Trannoy (EHESS/AMSE) publiée par Le Monde
29 mars 2024

→ Cette tribune a été publiée par Le Monde le 28 mars 2024. 

L’économiste Alain Trannoy constate, dans une tribune au « Monde », que les baisses d’impôt n’ont pas atteint leurs objectifs, et préconise des hausses temporaires et ciblées en évitant tout « choc fiscal ».

La France est dans le viseur des agences de notation et de la Commission européenne pour sa gestion de ses finances publiques. Le déficit a atteint 5,5 % en 2023, il est prévu à 4,4 % pour 2024. La marche est très haute et pose de nouveau la question du bien-fondé des grands principes de la politique économique d’Emmanuel Macron.

Celui-ci a mis en œuvre une politique de l’offre en privilégiant la réduction des charges et des impôts pour les entreprises. Elle a encore pesé en 2023 avec la baisse des impôts de production (3,7 milliards d’euros) et la dernière étape de la suppression de la taxe d’habitation (2,5 milliards). Faut-il faire machine arrière et revenir à une augmentation générale des grands impôts ? Cela nous semblerait un contresens majeur, alors que la France stagne depuis trois trimestres. En revanche, on peut songer à une hausse temporaire des impôts ciblant certains comportements ou certains revenus particuliers, sans affecter encore plus la conjoncture.

Le diagnostic est connu. La France est handicapée par le déséquilibre de sa balance commerciale, avec un recul considérable de ses parts de marché par rapport à ses concurrents européens sur le marché intérieur. En sept ans, la politique d’Emmanuel Macron a incontestablement produit des effets : le taux de chômage a baissé de 3 points, et 1,2 million d’emplois ont été créés dans le secteur privé. Le capital-risque nécessaire pour créer des start-up a été au rendez-vous et la France est redevenue attractive pour les investisseurs étrangers. L’investissement des entreprises a augmenté jusqu’au troisième trimestre 2023. L’emploi dans l’industrie manufacturière a recommencé à croître et la France a cessé de perdre des parts de marché.

Cette politique de l’offre aurait dû se traduire par une performance macroéconomique supérieure de la France par rapport à ses voisins – c’est d’ailleurs le cas vis-à-vis de l’Allemagne et de la Grande-Bretagne. Les prévisions économiques de Bercy ont, jusqu’à fin 2023, traduit cet optimisme, avec pour corollaire des anticipations de rentrées fiscales plus abondantes. Le dogme de ne pas avoir à augmenter les impôts se serait trouvé ainsi vérifié ex post.

L’exception française

Malheureusement, ce scénario a été déjoué, pour des raisons de natures différentes, qu’il faut avoir en tête pour comprendre comment nous pouvons sortir de ce mauvais pas. D’abord, un cactus s’est glissé dans la politique de l’offre : la productivité du travail n’a pas retrouvé son niveau de 2019, et la France est ici une exception par rapport aux grands pays européens.

Il s’agit maintenant de payer la facture du « quoi qu’il en coûte ». En effet, le macronisme n’a pas rechigné à l’endettement pour des dépenses de fonctionnement. Si les dispositifs mis en œuvre pendant la pandémie avaient leur rationalité, les différents boucliers mis en place pendant le pic des prix énergétiques ont été mal pensés. Ils ont enrichi les énergéticiens (le dernier rapport de la Cour des comptes pointe 30 milliards de bénéfices supplémentaires) et n’ont pas été suffisamment discriminants vis-à-vis des ménages, comme si Bercy, pris dans son élan du soutien tous azimuts pendant le Covid-19, s’était arrêté de compter alors même que les taux d’intérêt remontaient…

Mais la raison essentielle du déficit actuel tient au fait que la demande n’est pas au rendez-vous. D’abord, la Banque centrale européenne maintient des taux d’intérêt élevés alors que la perspective d’une boucle prix-salaires est maintenant écartée : la perspective d’inflation dans la zone euro pour 2024 est de 2,3 % pour une cible à 2 %. Entamer la baisse des taux au plus vite serait nécessaire pour redonner de l’oxygène à l’économie européenne.

Ensuite, l’Union européenne a concocté, pour sortir de la pandémie, un plan de relance dont l’Italie et l’Espagne se sont taillé la part du lion. Mais l’Italie n’a dépensé, fin 2023, que 23 % des 195 milliards qui lui sont destinés ! Cette situation ubuesque doit être débloquée d’urgence pour soutenir le taux de croissance économique du deuxième client de la France.

Freinage des dépenses

La dernière raison se trouve dans le comportement des ménages français. Leur investissement dans l’immobilier baisse depuis neuf trimestres consécutifs, et leur taux d’épargne se maintient à près de 2 points au-dessus du taux de long terme (7 % contre 5 %) – il est d’ailleurs incompréhensible de rémunérer le Livret A à un taux aussi élevé que 3 % dans ces conditions. Ce freinage des dépenses des ménages est la principale raison de la panne de la croissance française depuis juillet 2023, et par conséquent des rentrées fiscales décevantes. A force de ne pas voir les commandes arriver, l’investissement des entreprises fléchit (baisse de 1 point au dernier trimestre 2023). Là est le plus grand danger, car ce manque de confiance des Français dans l’avenir risque de contrecarrer la politique de l’offre. Dans ces conditions, une augmentation générale de grands impôts comme la TVA ou l’impôt sur le revenu serait une erreur monumentale. Est-il nécessaire de rappeler les conséquences désastreuses de l’expérience fiscale menée au début du quinquennat de François Hollande ?

Mais, si une politique réfléchie de réduction des dépenses publiques semble de toute façon incontournable, cela n’empêche pas qu’une politique d’augmentation d’impôts très ciblés soit tout à fait envisageable, à condition qu’elle respecte deux critères. Cette hausse devrait, d’une part, être temporaire, pour éviter un impact à long terme, et, d’autre part, être non anticipée, afin de contrer les possibilités d’évitement qui réduisent le rendement de l’impôt. Un collectif budgétaire au mois de juin ferait l’affaire. Les cibles pourraient être les énergéticiens hors EDF et les entreprises qui rachètent leurs actions, car c’est une stratégie purement spéculative étrangère à la politique de l’offre. Il n’est donc pas hors de portée de réussir à recueillir 10 milliards de recettes supplémentaires en 2024 et de rétablir ainsi notre crédibilité en matière de finances publiques.

Contact

→ Alain Trannoy est directeur d'études émérite à l'EHESS, membre d'Aix-Marseille School of Economics 

 

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